dimanche 16 mars 2008

La gastronomie dominicale

Il y a quelques décennies, manger était, pour certains, au-delà du besoin de survie (qui nous incite malgré tout à manger une boite de cassoulet dégueulasse lorsqu'il n'y a plus que ça) un véritable plaisir, pour ne pas dire une passion. Cette tradition, dans laquelle j'ai été élevé étant jeune, trouvait son aboutissement ultime dans le repas du dimanche : copieux, gras, lourd, arrosé de divers breuvages pour tasser le tout, d'entremets qui en temps normal nous auraient fait un repas complet, de sauces que l'on sentait couler dans nos veines, le repas dominical a cependant perdu de sa superbe au cours des années, et pas seulement en raison de la baisse sensible du pouvoir d'achat.

Il ne s'agit pas ici d'adresser un hymne passéiste à la cuisine de nos grands-mères que nous ne retrouverons jamais, mais plutôt de cracher à la gueule de celui ou celle qui ne se sent pas frétiller à l'évocation d'un civet d'oie, d'une poule en gelée, voire d'une blanquette de veau avec quelques petites pommes de terre nouvelles et un peu de persil hâché. Que l'adepte de la nouvelle cuisine plutôt que de l'ancienne aille crever dans les flammes du tournebroche infernal. Que le partisan de la mayonnaise en tube plutôt que de la mayonnaise aux câpres maison soit noyé dans les limbes d'une morne sauce béarnaise Amora. Que celui-là reçoive l'assurance de notre plus profond mépris sur lui et sur sa famille pour plusieurs générations.

Car la cuisine dominicale n'est pas (que) question de pouvoir d'achat, de produits de base trop chers, en somme, de basses considérations économiques, mais bien plutôt d'une volonté : celle, tout d'abord, de se lever à 6h du matin comme le faisait ma grand-mère, pour espérer avoir préparé un repas potable (c'est-à-dire dans lequel les plats se comptent à la douzaine) vers 12h30-13h. Celle ensuite de trouver des recettes qui marqueront à coup sûr, entre les classiques (aaah, la langue de boeuf sauce américaine, la carpe farcie, l'andouille cuite au vin blanc, de mamy, la terrine de gibier, le fromage de tête, les grattons de canard frits dans la graisse d'oie de papy), les originaux (j'ai souvenir d'une moussaka et d'un couscous,qui dans la campagne saône-et-loirienne sont des mets assez rares, et que même mon grand-père, pourtant plutôt traditionnel culinairement, dégusta sans vergogne) et la perspective du repas du soir allégé (soupe, jambon sec, omelette, salade au lard, fromages de chèvre). Celle, enfin, de procurer à ses hôtes un plaisir certes vulgaire, éphémère, salement sensible et humain, mais qui va plus loin que le simple débouché naturel : il n'y a qu'à relire Proust pour se convaincre de la majestueuse poésie des asperges ou des madeleines.
Certes, il existe une dichotomie assez crasse entre les souhaits de l'étudiant et la réalité plus matérielle. La cuisine bourgeoise est souvent hors de portée de nos bourses bien molles. Mais à choisir entre un filet de boeuf et une barrette de shit, j'ai choisi mon camp il y a longtemps.
Certes, il existe une dichotomie assez crasse entre les plus simples notions de diététique et la baffre dominicale que j'encourage. Mais je dis merde aux médecins, pisse-froids qui généralement ne crachent pas eux-mêmes sur une bonne bouteille de Bordeaux accompagnée d'une tête de veau ravigotte (ou gribiche, je ne suis pas sectaire).
Certes, il existe enfin une dichotomie assez crasse entre le boeuf bourguignon de ma grand-mère et le mien. Mais c'est bien la preuve que la cuisine est un art et ma grand-mère une artiste.

Que ceux qui ont eu, comme moi, la chance d'avoir des grands-parents et parents cuisiniers, gardent toujours en mémoire leur madeleine de Proust : elle est le plus sûr chemin vers nos souvenirs, et un remède efficace contre la monotonie dominicale.
Morale : cinq fruits et légumes par jour. Oui, mais au vin et en sauce (un jour je vous parlerai de ma salade de fraises au vin rouge, crème et menthe).

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